Ce samedi 4 juillet, jour de la fête nationale américaine, avait lui aussi des accents étranges en raison de la pandémie mondiale et de la situation encore à moitié confinée de la ville. Première incongruité, quasiment personne ne se baladait aux couleurs de drapeau, au contraire de l’année passée. Mis à part quelques « Happy 4th of July » griffonnés sur les vitrines, on se serait cru un jour normal (au sens de « normal par rapport à la situation actuelle »).
Le traditionnel feu d’artifice – absolument incompatible avec la distanciation sociale vu la foule qui s’agglutine habituellement sur les rives pour l’admirer – a été remplacé par un drôle de dispositif. Chaque jour de la semaine passée, des feux d’artifices ont été tirés dans un des boroughs de la ville (un borough différent chaque jour) pour « rapprocher cet événement festif de ses habitants qui peuvent moins facilement se déplacer » (je cite et traduis de mémoire une explication de la municipalité), mais le lieu et l’heure exacts n’ont été dévoilés à chaque fois qu’au dernier moment, pour éviter que trop de gens l’apprennent et s’y pressent. J’ai un peu de mal à saisir le concept d’un spectacle populaire que l’on maintient en le rapprochant de son public tout en s’arrangeant pour que presque personne ne puisse aller le voir, mais l’événement était apparemment trop important symboliquement pour se permettre de l’annuler purement et simplement, comme ça a été le cas pour tous les événements prévus ces derniers mois, de la parade de la Saint Patrick jusqu’au marathon.
Depuis une bonne semaine également, des Américains jouent à un nouveau jeu : tirer des feux d’artifices « sauvages » depuis chez eux. Ce n’est pas vraiment nouveau, mais cette année, ça a pris des proportions incroyables. Tous les soirs, rien que dans notre quartier – et c’est visiblement pareil dans d’autres quartiers ailleurs dans la ville, ainsi que dans d’autres métropoles du pays – une dizaine de feux d’artifice sont tirés à portée d’oreille, tous très brefs mais étalés jusqu’à une heure très avancée de la nuit, si bien qu’au moins un ou deux nous réveille au milieu de la nuit, ce qui fait toujours plaisir. Le plus tardif dont je me rappelle a été tiré vers 4h30 du matin et le bruit de détonation était si fort qu’il devait provenir du toit d’une maison voisine. Par la fenêtre, je voyais les gerbes d’étincelles se refléter sur les voitures garées de l’autre côté de la rue. J’ai lu quelque part que la mairie de New York les avait interdit et voulait verbaliser les artificiers du dimanche. Je leur souhaite bien du courage. De une, ils sont tirés un peu partout dans cette ville immense, de deux ils le sont vraisemblablement des toits donc quasi-invisibles de la rue et il faudrait les débusquer avec des drones ou des hélicoptères, de trois ils sont lancés à n’importe quelle heure de la nuit donc sur une longue plage de temps. Je croyais que les habitants frustrés épuisaient leurs stocks de feux d’artifice achetés exprès pour le 4 juillet, mais j’ai récemment lu un article qui expliquait que ces braves gens se sentaient désœuvrés et allaient exprès acheter de gros pétards à éclater pour tromper leur ennui. Comme l’achat de feux d’artifices est prohibé dans les États de New York et du New Jersey, tout un trafic s’est même apparemment mis en place depuis la Pennsylvanie.
Heureusement, certaines autres traditions du 4 juillet ont perduré, tel l’inénarrable et inimitable concours du plus gros mangeur de hot dogs organisé par le restaurant Nathan’s Famous à Coney Island. Joey Chestnut, leader incontesté de la discipline, a ainsi à nouveau concouru – mais derrière une paroi de plexiglas et sans spectateurs – et a pour l’occasion battu son propre record en engloutissant, le mot est faible, 75 hot dogs en 10 minutes. Oui, ça fait une moyenne d’un hot dog gobé toutes les 8 secondes et, non, pas de commentaire. On est rassurés de voir ces belles coutumes, synonymes d’Amérique et de liberté d’après les organisateurs, perdurer.