Le vendredi est le jour de ramassage des déchets recyclables dans le quartier. La veille, dès le milieu d’après-midi, de grands sacs en plastique semi-transparents s’entassent sur les trottoirs. Dans les heures qui suivent, des hommes et femmes entre deux âges, principalement hispanos, fouillent méthodiquement ces sacs et les poubelles et récupèrent tout ce qui les intéresse, bouteilles en plastique ou en verre et canettes en métal, qu’ils pourront ensuite monétiser. Visage inexpressif de ceux qui n’ont plus grand chose à perdre. On croise même des pachamamas poussant dans la rue leurs chariots de recyclables, longue tresse noire dans le dos et chapeau rond sur la tête, comme au Pérou ou en Bolivie. Parfois aussi, un blanc mal rasé, la cinquantaine, casquette vissée sur ses cheveux trop longs, qui inspecte les courettes devant les immeubles, pour récupérer ce qu’il peut.
Le reste de la semaine, on les voit ensuite plantés pendant littéralement des heures devant les machines à consigne installées à côté de l’entrée des supermarchés, maniant des caddies qui débordent de sacs remplis de bouteilles. Patiemment, ils les insèrent une à une dans les machines qui scannent les codes barre et acceptent ou rejettent leurs trouvailles. Leur seule distraction est de temps à autre une causette en espagnol avec le voisin qui fait la même chose. A cinq cents par bouteilles sous forme de bon d’achat, il en faut beaucoup pour s’assurer un pécule, mais leur système est si bien rôdé que certains magasins ont cru bon d’instaurer des limites à quinze ou vingt dollars par ticket, ce qui donne une idée de ce que certains arrivent à collecter.
Le malheur des uns faisant le bonheur des autres, l’Américain moyen n’a pas beaucoup d’effort à faire pour recycler. Il se contente de mettre son plastique et son métal dans un sac ou un container bleu, et de petites mains industrieuses valoriseront ce qui peut l’être, tandis que le reste sera balancé dans un camion benne le jour venu. Le plus compliqué pour lui reste malgré tout de s’y retrouver dans la jungle des règlements locaux qui stipulent ce qui peut ou non être mis au recyclage, et les conseils du voisin se retrouvent parfois contredits par le site de la ville de New York.
En bons élèves et avec nos réflexes européens, nous avons tenté de mettre nous-même notre verre recyclable dans les trieuses à consigne des supermarchés. Pas pour l’argent, mais avant tout par refus d’être déresponsabilisés de notre devoir individuel et citoyen de recyclage. Échec cuisant. Soit il faut accepter de passer la moitié de la journée derrière la pachamama du coin qui valorise ses mètres cubes de bouteilles à la consigne, soit le créneau est libre mais la machine est pleine et il faut appeler un responsable du magasin pour la faire vider et, le temps qu’on y revienne, les suivants sont déjà à pied d’œuvre pour la remplir à nouveau, soit la machine est en panne, soit enfin il faut composer avec un paramétrage strict de la machine qui n’accepte que les codes barres des produits vendus dans le magasin où elle se situe et rejette 90% du verre que nous avons apporté. Ça donne une idée de la patience et de l’organisation de ceux qui triment avec le recyclage des autres. De guerre lasse, nous avons fini par faire comme tout le monde et laissé à d’autres le soin de trier et valoriser notre verre et notre plastique.