Achat récent d’un guide sur la Pennsylvanie pour préparer un voyage que nous projetons d’y faire en fin d’été.
Le livre, éditeur américain, rédigé par une journaliste américaine pour une clientèle américaine, dit aussi beaucoup sur une façon de penser et de voir le monde, et rappelle que raconter et préparer un voyage sont également culturels.
Le plus frappant est probablement la propension à aligner partout des comparatifs et des superlatifs. Exemple emblématique, quand l’auteure décrit l’hôtel de ville de Philadelphie, elle écrit qu’à l’époque de sa construction il devait être le plus haut bâtiment du monde, mais que dépassé entre temps, il était, un peu à défaut, le plus haut bâtiment habitable du monde lors de son inauguration, tandis que la statue de William Penn – fondateur de la ville et qui donna son nom à l’Etat – qui surmonte sa coupole est la plus haute statue sur un édifice. Quelques lignes plus loin, on apprend que le city hall est également le plus haut bâtiment habité en maçonnerie du monde, le plus vaste et le plus cher hôtel de ville d’Amérique et un des plus beaux exemples d’architecture Second Empire du continent. Belle rangée de médailles.
Le reste est à l’avenant. Au fil de la lecture de l’ouvrage, on croise une des plus impressionnantes rivières à eaux vives du pays, la plus grande boucle ferroviaire, le plus long sentier de randonnée, et ainsi de suite. On se moque parfois des Américains, toujours prompts à proclamer que le café servi dans telle boutique est « world famous » ou « best in town » ou que tel hamburger est le plus généreux à l’ouest du Pecos, mais il y a indéniablement une propension culturelle, pas tant à l’exagération ou à la vantardise qu’à aligner et, surtout, afficher des records, comme un tableau de chasse dont chacun peut être fier et qu’on montre à tous ses visiteurs. Cela tient peut-être à la fois à l’encensement de la réussite personnelle et au souci d’une nation de se comparer et de se situer par rapport au reste du monde, de préférence en s’arrangeant pour se montrer en haut du podium, même lorsque le dit pays est depuis des décennies la première puissance mondiale. Personnellement, j’ai bien compris que l’hôtel de ville de Philadelphie valait le coup d’être vu, en me fichant pas mal de savoir s’il était le plus haut bâtiment à tuiles vertes à l’ouest de la rivière Delaware.
Plus loin, le guide décrit une région montagneuse propice à de nombreuses activités sportives en extérieur, été comme hiver, et pour conseiller sur la durée de séjour idéale, propose le raisonnement suivant : si vous, visiteurs qui planifiez votre voyage dans cette région, venez pour faire du ski, du snowboard ou de rafting, vous pouvez faire l’aller-retour dans la journée (l’original parle de « day trip »). En revanche, si vous voulez à la fois profiter d’un resort en famille ou en amoureux, dîner, faire les boutiques et rajouter une randonnée d’accès facile et proposant un beau panorama (je traduis littéralement l’expression « throwing in an easy, scenic hike »), alors mieux vaut compter plusieurs jours sur place. Ces quelques lignes valent le coup de s’y arrêter un instant, tant elles sont significatives de la façon dont les Américains conçoivent leurs vacances, tant en terme de durée que d’activités. Vu d’Europe, il est d’abord étrange de considérer que des activités sportives qui prennent du temps et sont fatigantes peuvent se faire en une seule journée, même si on tient compte du fait que la région en question ne se situe qu’à deux heures environ en voiture de Philadelphie ou New York. En se risquant à une comparaison, c’est un peu comme si un guide sur les Alpes recommandait de faire l’aller-retour depuis Lyon pour faire du ski. Ensuite, l’auteure du guide part visiblement du principe que si des Américains passent plusieurs jours dans une région (un peu) sauvage, c’est avant tout pour se prélasser dans la piscine de l’hôtel, faire un bon repas et du shopping, bien plus que pour randonner, et encore uniquement si la balade est facile et vaut le coup, c’est à dire permet de faire des selfies devant (j’extrapole un peu). Ça me rappelle le plan du parc national du Yosemite, où tel « sentier » menant à une cascade réputée et indiqué comme étant de niveau difficile, se révélait à l’usage une large route goudronnée de frais, et qu’empruntaient de jeunes gars chaussés de tongs.